Le Comité de Prospective de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sous l’égide de son Président Jean-François CARENCO, a rassemblé le 8 octobre 2019 les acteurs majeurs du monde industriel, économique et universitaire sur le thème : la transition énergétiques dans les territoires : nouveaux rôles, nouveaux modèles.
Frédéric GONAND, Professeur d’économie à l’Université Paris-Dauphine et Bernard BOUCAULT, Préfet de région honoraire, les deux co-présidents du groupe de travail sur l’évolution des réseaux et du système énergétique à l’horizon 2030 ont présenté le rapport : « Transition énergétique dans les territoires, nouveaux rôles, nouveaux modèle ».
A noter également la participation de Patrick OLLIER, qui a apporté son témoignage en tant que Président de la Métropole du Grand Paris sur les réalisations effectuées dans ce territoire dans le cadre de la transition énergétique.
La restitution de ces travaux était suivie d’une table ronde qui a rassemblé Marjolaine MEYNIER-MILLEFERT, Députée de l’Isère, Célia BLAUEL, Maire-Adjointe à la Maire de Paris et Conseillère municipale du XIVème arrondissement de Paris, Xavier PINTAT, président de la Fédération nationale des collectivités concédantes et régies (FNCCR) et Philippe MONLOUBOU, Président du Directoire d’Enedis.
Jean-François CARENCO, Président de la CRE et du Comité de la prospective a introduit le débat sur la question de la décentralisation des systèmes énergétiques : « La transition énergétique est étroitement associée à une dispersion croissante de la production d’électricité qui met en avant le rôle des territoires. Les réseaux de distribution sont notamment appelés à devenir en partie des réseaux de collecte et d’acheminement des excédents de production » a-t-il déclaré.
LA TRANSITION ÉNERGÉTIQUE EST ÉTROITEMENT ASSOCIÉE À UNE DISPERSION CROISSANTE DE LA PRODUCTION D’ÉNERGIE QUI MET EN AVANT LE RÔLE DES TERRITOIRES :
Le développement des énergies renouvelables (EnR) intermittentes – éolien terrestre et maritime, photovoltaïque, gaz renouvelable – modifient les conditions d’exploitation et les équilibres financiers des réseaux d’énergie. Les réseaux de distribution sont notamment appelés à devenir en partie des réseaux de collecte et d’acheminement des excédents de production non soutirés localement vers d’autres pôles de consommation.
Le développement des EnR entraîne une nouvelle répartition géographique de la production d’énergie. Elle implique d’arbitrer entre produire là où les conditions sont les plus favorables, et privilégier des sites proches des centres de consommation pour minimiser les coûts de réseau.
Pour faire bénéficier les territoires qui favorisent davantage la production d’énergies renouvelables de coûts plus faibles, à terme, de l’énergie, il faudrait remettre en cause le dispositif actuel de péréquation nationale et ses prix nationaux.
Le rapport passe en revue de façon synthétique le déploiement protéiforme de la transition énergétique au niveau local :
- Les régions sont, depuis la loi de 2014 dite MAPTAM, chefs de file en matière de protection du climat, d’énergie et de développement durable. Elles élaborent des Schémas régionaux d’aménagement, de développement durable et d’égalité du territoire (SRADDET). Leur articulation en amont avec les objectifs nationaux n’est pas évidente. L’articulation en aval avec les outils de planification des collectivités, notamment en matière d’urbanisme, est elle aussi très complexe.
- Les communes et intercommunalités rédigent aujourd’hui leurs Plans climat air énergie territoriaux (PCAET). Le rapport présente les PCAET de Paris, Bordeaux et Nantes.
- Le rapport présente les Territoires à énergie positive (TEPOS), les Territoires à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV) et les Contrats de transition écologique (CTE).
Dans ce contexte en pleine mutation, le rapport estime que des choix structurants vont devenir incontournables dans la prochaine décennie pour rendre pleinement efficace la transition énergétique et sa déclinaison territoriale.
Au préalable, le rapport rappelle que l’autonomie énergétique au niveau local ne peut pas être comprise comme une autosuffisance et encore moins une autarcie, ni techniquement, ni économiquement. La notion d’énergie « produite localement et consommée localement » est trompeuse, car elle masque la réalité des flux d’énergie et des interdépendances économiques entre territoires.
La transition énergétique locale soulève des questions de péréquation tarifaire. Est-il pertinent de faire coexister un système où les coûts de production et de distribution de l’énergie seront de plus en plus différents entre les territoires, mais les recettes et les prix mutualisés ou homogénéisés au niveau national ? Et si oui, comment l’organiser ? La question est économique, mais aussi extrêmement politique.
- Le rapport souligne l’accroissement de la fonction assurantielle du réseau national dans le contexte d’une transition énergétique territoriale. Le réseau national continuera plus que jamais de garantir de disposer à tout instant de la puissance souhaitée. Ce service assurantiel est déjà pris en compte dans les tarifs, car il correspond à un coût supporté par les gestionnaires de réseaux. C’est la question de la répartition entre la part « énergie » et les parts « puissance » et « fixe » des tarifs de réseau.
- L’application d’un tarif de réseau unique à la maille nationale ne s’impose pas d’un strict point de vue économique ; il relève plutôt d’un choix politique. En France, le prix de l’énergie payé par le consommateur final est déconnecté des conditions économiques locales aussi bien de production que de distribution de l’énergie (voir en particulier nos territoires d’outre-mer). En Grande-Bretagne, les tarifs de réseaux sont régulés séparément pour chacun des grands opérateurs régionaux.
- Le rapport émet globalement une opinion défavorable quant au développement possible de marchés locaux de l’énergie qui soulèveraient de nombreuses difficultés.
- En ce qui concerne l’autoconsommation collective, il est pertinent que la tarification des réseaux reflète l’économie pour le réseau qu’elle implique. Il convient toutefois de mesurer le risque associé de « mitage » du territoire par des poches tarifaires locales.
- Sur la question difficile de l’échelle géographique pertinente en cas de choix d’une péréquation à un échelon infranational, différents niveaux sont possibles sans qu’aucun n’apparaisse sans inconvénient. Pour mémoire, le rapport rappelle que pour les réseaux de chaleur, qui font chacun l’objet d’une tarification distincte, il n’y a pas de péréquation.
- Le rapport souligne la complémentarité spécifique entre métropoles et zones péri-urbaines ou rurales environnantes, en termes de besoins et de ressources. Une expression de la solidarité entre ces territoires rend légitime des tarifs d’acheminement communs entre ces territoires.
- Reprenant une thèse ancienne, le rapport rappelle qu’il pourrait être pertinent de distinguer les prix de l’électricité selon ses usages, en conservant une péréquation nationale des tarifs d’utilisation des réseaux pour les usages spécifiques de l’électricité, non substituables, mais en introduisant une composante spécifique pour le chauffage ou la climatisation.
Sur l’avenir du modèle français de gouvernance avec des collectivités possédant les réseaux et deux opérateurs nationaux concessionnaires très dominants (Enedis et GRDF) :
- Globalement, le rapport considère que le modèle historique français est relativement plastique et peut s’adapter sans avoir à être radicalement remis en cause. La perspective d’une mise en concurrence des concessions d’électricité et de gaz ne semble pas d’actualité. La généralisation de la gestion de la distribution d’énergie par des opérateurs locaux ne semble pas nécessaire. Dans leur rôle de facilitateur de la transition énergétique locale, les Entreprises locales de distribution (ELD) interviennent surtout en tant que producteur d’énergies renouvelables : en cela, toute collectivité peut créer un tel outil dans le cadre de gouvernance existant. Au-delà, une gestion municipale généralisée des services de distribution soulèverait de nombreuses contraintes et des questions nouvelles en matière de péréquation. Les communautés énergétiques, promues au niveau européen, font déjà l’objet de multiples initiatives sans remise en cause du modèle concessionnaire actuel.
- Le pouvoir de négociation des collectivités dans leurs relations avec les gestionnaires de réseaux s’est renforcé au cours des dernières années. Le regroupement des autorités concédantes a permis l’émergence en leur sein d’équipes expertes et dédiées à l’énergie. Dans ce contexte, des évolutions majeures ont déjà été apportées aux équilibres entre concédants et concessionnaires. Un enjeu demeure, relatif à l’accès aux données, avec des demandes accrues de transparence de la part des autorités concédantes. Pour les gestionnaires de réseaux, l’extraction massive des données et leur hébergement sont toutefois coûteux, et il faudra identifier pragmatiquement les vraies utilités et les points d’équilibre en ce domaine.
NB1 : ce rapport a fait le choix de ne pas aborder la question de la transition énergétique locale dans les Zones non interconnectées (ZNI), dont la problématique est très spécifique et distincte de la réalité métropolitaine continentale.
NB2 : ce rapport traite essentiellement des évolutions des réseaux d’électricité et de gaz, et non des réseaux de chaleur. Il est rappelé ici que la décarbonation des usages et le développement de l’utilisation de ressources renouvelables peuvent tirer un grand profit de la valorisation directe de la biomasse solide sous forme de chaleur, notamment via des réseaux de chaleur.
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