
Le Comité de Prospective de la Commission de régulation de l’énergie (CRE), sous l’égide de son Président Jean-François CARENCO, a rassemblé le 17 décembre 2019 les acteurs majeurs du monde industriel, numérique, économique et scientifique pour la présentation de son rapport sur « Donner du sens aux données du consommateur ».
Cécile MAISONNEUVE, Présidente de La Fabrique de la Cité et Fabien CHONÉ, Co-fondateur de Direct Energie, ont tous deux coprésidé ce groupe de travail sur les données du consommateur. Leur rapport présente des propositions prospectives concernant le recueil du consentement des consommateurs, l’expérimentation et la gouvernance des données énergétiques, remontées par les compteurs évolués.
Résumé du co-président et de la co-présidente
Les données d’énergie se multiplient, se diversifient, s’enrichissent et constituent un élément central pour les acteurs du secteur. Les consommateurs résidentiels d’énergie ont toujours été d’importants producteurs de données. Cependant, ces dernières se sont massifiées et précisées avec la généralisation des compteurs évolués.
L’abondance et la diversité des données aujourd’hui disponibles représentent une opportunité pour le consommateur, qui se voit proposer des services innovants dont le développement repose sur le traitement et l’enrichissement de ses données. Elles ouvrent également la voie au développement d’outils nouveaux, qui sont autant d’atouts pour la transition énergétique.
Cependant, le développement de ces innovations se heurte à l’insuffisance des données disponibles sur la consommation précise des ménages, qui résulte principalement de la complexité des règles retenues pour l’obtention du consentement des consommateurs.
L’enregistrement des données horaires dans les compteurs évolués résidentiels est par exemple systématique, sauf si le consommateur s’y oppose (opt out), alors que ces mêmes données ne sont remontées dans le système d’informations des gestionnaires de réseaux qu’à la seule condition que le consommateur le demande explicitement (opt in). Dans ce cas, le simple fait d’avoir privilégié l’opt in plutôt que l’opt out limite de facto la collecte des données. Or, si la règle de l’opt in se justifie pour la transmission de ces informations sensibles à des acteurs tiers, elle apparaît plus contestable lorsqu’il s’agit de leur collecte par les gestionnaires de réseaux.
De surcroît, l’enregistrement dans le compteur ne concerne que quelques mois de consommation. Les données collectées n’offrent par conséquent pas le niveau de complétude permettant de connaitre précisément les variations saisonnières de la consommation annuelle, du fait notamment des fortes saisonnalités entre l’été et l’hiver.
Il en résulte un déficit de données précises alors même qu’elles sont indispensables au développement de services innovants au bénéfice du consommateur. Le statu quo n’est donc pas satisfaisant. Un nouvel équilibre entre la protection des données personnelles, d’une part, et l’intérêt des citoyens, du système électrique et de la collectivité, d’autre part doit être trouvé.
Le présent rapport formule trois propositions principales en vue de remédier à cette situation.
- En premier lieu, il est proposé de faire évoluer les règles de recueil du consentement pour le traitement des données des consommateurs équipés de compteurs évolués dans le but de développer leur collecte par les gestionnaires de réseaux. Une évolution finalement limitée de ces règles permettrait de rompre le cercle vicieux actuel qui freine l’utilisation des données des consommateurs et de développer un cercle vertueux pour chacun des consommateurs mais aussi pour la collectivité toute entière.
- En deuxième lieu, un « bac à sable » réglementaire, qui intégrerait les données des consommateurs, pourrait être créé dans le secteur de l’énergie. Cet outil consiste à autoriser, sous le contrôle du régulateur, les acteurs d’un secteur à déroger temporairement au cadre applicable afin de faire émerger des produits ou services innovants qui pourront être testés dans un environnement réel. Dans le secteur de l’énergie, sa mise en place accélérerait l’émergence d’un écosystème entrepreneurial, fondé sur l’utilisation des données des consommateurs. Alliant sécurité et souplesse, le « bac à sable » réglementaire permet de montrer la convergence possible de l’intérêt général avec les intérêts particuliers.
- En troisième lieu, ces évolutions ne pourront réussir sans la confiance des consommateurs dans l’intégrité du système. Cette confiance peut être renouée par la rénovation de la gouvernance des données de l’énergie. Elle repose également sur la bonne information du consommateur quant à l’usage qui est fait de ses données, la sécurité des traitements et le développement d’outils, comme le self data, permettant aux consommateurs de se réapproprier leurs données.
La restitution de ces travaux a été suivie d’une table ronde, ouverte par Mme GabrielleGAUTHEY, Directrice Innovation & Efficacité Énergétique chez TOTAL ; et qui a rassemblée Mme Natacha HAKWIK, Directrice associée d’EQINOV et membre fondatrice de LUCIOLE, Mme Naïma IDIR, Présidente de l’Agence Nationale des Opérateurs Détaillant en Energie (ANODE) et Responsable des affaires réglementaires et institutionnelles d’ENI, M. Christian BUCHEL, Directeur clients et territoires d’Enedis et Président de l’association européenne des gestionnaires de réseaux de distribution E.DSO, M. Thomas DAUTIEU, Directeur de la conformité à la Commission nationale de l’Informatique et des Libertés (CNIL) et M. François CARLIER, Délégué général de l’association de consommateurs Consommation Logement Cadre de vie (CLCV).
Ces échanges fournis ont fait réagir positivement Jean-François CARENCO, Président de la CRE, fondateur et Président du Comité de prospective. « En arrivant à la CRE, j’ai voulu créer un lieu de débat ouvert à des experts venant d’univers divers, élus, universitaires, et représentants du secteur de l’énergie pour éclairer les décideurs politiques, économiques et industriels sur les transformations du système énergétique » a-t-il déclaré en introduisant la table ronde, « le Comité de prospective n’est pas un lieu consensuel. De cette manière, nous participons à l’expression démocratique et ouvrons une enceinte pour que le débat puisse s’exprimer, et les questions se poser.Les travaux n’engagent pas la Commission de régulation de l’énergie mais renforcent sa réflexion dans l’accomplissement de ses missions. Les données restent un sujet technique mais aussi passionnel. Toutefois, il y a une absolue nécessité d’en faire un territoire d’innovation ».
Retrouvez l’intégralité du rapport “Donner du sens aux données du consommateur”