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Billet du lundi : un calcul de la balance commerciale en CO2 pour une prise en compte des émissions effectives par pays sur le modèle de la TVA … une étude de la Banque de France

Apparue en 1954, la taxe sur la valeur ajoutée (TVA), a immédiatement présenté deux vertus cardinales. Sa première, est d’être insensible au nombre d’intermédiaires présents sur une chaîne de valeur pour la fabrication d’un bien final. Sa seconde, est d’être extrêmement simple pour l’administration fiscale dans sa collecte au nom de l’État, en la faisant appliquer par le vendeur du bien. Le calcul de la valeur ajoutée soustrait aux ventes du bien ou service les consommations intermédiaires, afin de refléter la contribution réelle de chacun des acteurs dans la formation du prix du produit final.

La fuite des émissions de CO2 n’est pas une nouveauté et les débats pour l’enrayer se sont souvent conclus par la volonté de taxer le CO2 contenu dans les biens et services, indifféremment qu’ils servent à la consommation finale ou qu’ils soient réincorporés dans un processus de création de valeur comme consommation intermédiaire, pour ensuite être réexportés.  Or, la question de la compétitivité des entreprises françaises et européennes ne peut pas seulement s’apprécier par la production de biens de consommation finale.

Suivant le raisonnement de la valeur ajoutée, qui est un des seuls agrégats comptables pouvant être réparti en autant d’acteurs intermédiaires qu’il en existe sans qu’en soit impacté le coût final, la Banque de France a tenté un exercice de chiffrage similaire appliqué au contenu CO2 des biens et services.  


Solde commercial en équivalent CO2 en 2015, source : Banque de France d’après l’OCDE

Le modèle de taxation du carbone pourrait s’inspirer de ce modèle consistant à taxer la consommation finale de carbone sans impacter la compétitivité de secteurs exportateurs très exposés à la concurrence internationale.

Alors que l’épidémie de coronavirus pose la question de la relocalisation de certaines activités industrielles et que le Green Deal européen, annoncé après l’élection d’Ursula von der Leyen, semble menacé au profit d’un sauvetage de l’économie réelle, la Banque de France publie dans son Bulletin de mars-avril 2020 [1] une étude qui met en perspective la relation des politiques industrielles et commerciales avec les objectifs climatiques. La localisation des activités industrielles dans des pays émergents, où les appareils productifs sont plus émetteurs de CO2, pour gagner en compétitivité et répondre aux normes environnementales renforcées en Europe, favorise la production d’émissions de CO2 contenus dans les biens et services importés dans les pays développés, pour répondre à leurs besoins de consommation. Pour mettre en valeur cette relation, l’étude de la Banque de France croise trois bases de données de l’OCDE sur la période 2005 2015 pour quantifier le C02 émis par unité de valeur ajoutée, dans le cadre du commerce international.

Si certains pays produisent plus de CO2 qu’ils n’en consomment et deviennent ainsi exportateurs comme la Chine, d’autres sont qualifiés d’importateurs nets de CO2. L’étude méthodologique de la Banque de France propose de rééquilibrer l’attribution des émissions de carbone par pays par un calcul de l’empreinte effective de chacun, en considérant les demandes réelles corrélées au niveau de vie. En 2015, la part des émissions carbone liées au commerce international est estimée à 25 %, soit 8 milliards de tonnes de CO2 sur un total de 32 milliards. La Chine, pèse pour 24 % dans la production (exportation) de ces émissions et les États-Unis pour 15 % dans leur consommation (importations), et c’est en amont de la chaîne de valeur que les émissions de CO2 sont les plus importantes, avec un secteur « énergie-déchets » qui représente à lui seul 32 % des émissions totales mesurées dans le commerce international.

La Banque de France challenge la méthode de calcul classique utilisée dans le cadre de l’accord de Paris, centrée sur les émissions domestiques. Elle transpose le calcul de la balance commerciale, en valeur monétaire, en équivalent CO2 et proposer une vision locale de la participation réelle des pays aux émissions carbone, dans le cadre de leurs échanges commerciaux sur le modèle de la valeur ajoutée. La Banque de France propose une méthode de quantification du CO2 par produit en distinguant la production dédiée au commerce international de celle relevant de la demande interne. Cette distinction fondamentale pourrait à l’avenir accompagner une meilleure répartition des obligations de réduction des émissions par État, en considérant leurs besoins industriels. Cette approche des émissions carbone par la demande et par produit, pourrait orienter les pouvoirs publics dans la définition de leurs stratégies bas carbone à toutes les échelles et pour tous les secteurs industriels.

La méthode proposée identifie trois facteurs à isoler pour recalculer la part réelle des États dans la production de CO2 émis : (1) rapporter les émissions de CO2 à l’échelle démographique des pays, (2) l’efficacité des appareils productifs en termes de rendements et de rejets de CO2 et (3) le niveau d’insertion dans la chaîne de valeur.

1. Rapporter les émissions de CO2 à l’échelle démographique des pays

Il s’agit de corriger l’impact carbone des États en le rapportant à leur poids économique – flux économique monétaire traduit en CO2 – et par habitant – demande extérieure. Ainsi, la place de pollueur n°1 est détenue par la Chine, exportatrice de biens et de services et donc de C02. Toutefois, le calcul de sa production de CO2 par habitant redistribue les cartes. La balance commerciale en tonnes de CO2 par habitant de la Chine est 4 fois inférieure à celle de l’Allemagne, et se retrouve derrière les États-Unis, le Royaume-Uni, la France, l’Italie et le Japon (voir graphique ci-dessous).

Ces tendances dépendent du besoin de consommation, des dotations factorielles énergétiques des pays, et de la composition sectorielle de leur échange considérés dans le calcul de la Banque de France. Les pays les plus riches ont un solde commercial en CO2 nettement déficitaire à celui des pays émergents qui pourtant, enregistrent sur leur sol une part importante des émissions de CO2. Ces pays sont par conséquent importateurs net de CO2 alors que l’efficacité carbone de leur appareils productifs, soit des émissions nécessaires pour produire une unité de valeur ajoutée, est nettement supérieure à celle des pays émergents.


Contenu en CO2 des échanges internationaux corrigé de l’effet d’échelle, source : Banque de France, d’après la Banque mondiale et l’OCDE

2. L’efficacité des appareils productifs en termes de rendements et de rejets de CO2

Sur la période 2005-2015, l’étude constate une hausse de 60 % du flux d’échanges monétaires et parallèlement une hausse de seulement 10 % des émissions de carbone contenu dans les biens et les services. Sur la période on observe une hausse globale de l’efficacité carbone des appareils productifs, par une baisse de 31 % de l’intensité moyenne nominale, pour l’ensemble de la production mondiale. Une fois les effets d’échelle corrigés les pays les plus avancés ont des exportations moins émettrices, mises en valeur par des appareils productifs plus efficaces.

Les « grands » pays avancés sont prescripteurs d’émissions carbones. Si ce ne sont pas leurs appareils productifs qui sont directement mis en cause par la délocalisation de leurs activités industrielles émettrices dans les pays émergents, ce sont leurs modèles industriels délocalisés et leurs besoins de consommation qui soutiennent ces émissions. En Chine, 1/9 du carbone est émis pour répondre à la demande mondiale. D’un point de vue climatique, il peut être intéressant de relocaliser des activités industrielles dans les pays avancés dont les structures sont plus efficaces et donc repenser le principe de responsabilité partagée, mais différenciée mis en place par le Protocole de Rio, qui a pu provoquer une délocalisation d’activités vers des appareils productifs peu efficaces. Proposer un modèle de taxation du carbone sur celui de la TVA mettrait directement en valeur l’intensité carbone des modes de consommation.

3. Le niveau d’insertion dans la chaîne de valeur

Le fractionnement des chaînes de valeur à l’échelle mondiale vient complexifier l’identification des foyers d’émissions de CO2. Le rapport de la Banque de France propose d’organiser une décomposition des flux agrégés des exportations et importations selon les origines géographiques, et opte pour une méthode de calcul « à l’origine ». C’est-à-dire une comptabilisation qui comprend uniquement le CO2 émis par le secteur, quelle que soit la position du pays dans la chaîne de valeur.

Le CO2 est un indicateur de l’intégration des pays en amont et en aval des chaînes de production, que la méthode de calcul traditionnelle ne prend pas en considération. En dissociant les utilisations de CO2 importé, pour une consommation domestique, ou en vue d’une réexportation suite au processus de fabrication, on identifie les sources d’émission carbone réelles. En décomptant l’ensemble des multiples passages aux frontières, on isole la quantité effective de CO2 émise par un pays pour ses échanges. De cette manière, le commerce international qui avec la méthode de calcul traditionnelle pèse pour 8 milliards de tonnes de CO2 émis, passe à 6,2 milliards. Il y a donc 1,8 milliard de tonnes de CO2 comptabilisés qui concernent les passages aux frontières. Avec cette méthode de calcul, la France serait à l’origine de 63 millions de tonnes de CO2 effectivement émises sur son territoire contre 114 millions de tonnes, lorsque sont considérés l’ensemble des pays participants en amont de sa chaîne de valeur. En reflétant la part de CO2 effectivement émise par pays dans le processus de fabrication de biens et services sur le modèle de la valeur ajoutée, l’efficacité carbone de l’appareil productif des pays comme la France met en valeur l’intérêt qu’ils présentent à accueillir des activités industrielles, pour accompagner la réduction des émissions de CO2 dans le cadre des accords pour le climat.

Note

[1] Le Bulletin de la Banque de France, Les émissions de CO2 dans le commerce international, Direction de la Balance des paiements, n°228/1 de mars-avril 2020 [https://publications.banque-france.fr/les-emissions-de-co2-dans-le-commerce-international].

N.B. Les « billet[s] du lundi » du Comité de prospective de la CRE présentent des sujets qui ont trait au secteur de l’énergie sur la base de synthèses documentaires ou d’observations sur des articles ou des documents élaborés par des tiers. Ces synthèses n’engagent pas le collège de la Commission de régulation de l’énergie. Elles ont pour but d’attirer l’attention des acteurs sur des éléments factuels auxquels ils peuvent réagir par retour de contribution à notre adresse : eclairerlavenir@cre.fr.