Les petits réacteurs modulaires, en anglais Small modular reactors (SMR), font l’objet d’un intérêt croissant dans le monde depuis quelques années : les projets se multiplient, avec plusieurs développements concurrents. Le terme « SMR » regroupe en effet des modèles de réacteurs de 3ème ou 4ème génération, qui peuvent utiliser des technologies variées mais qui ont en commun une faible capacité – inférieure à 300 MWe – et une compacité, permettant un préassemblage en usine. De ce fait, les SMR représentent a priori la promesse d’une accessibilité financière et technique du nucléaire plus large que celle les grandes centrales, et offrent par ailleurs de larges potentialités d’usages. De plus, en termes de sûreté de fonctionnement, la faible puissance d’un SMR permet de n’envisager que des systèmes passifs, et donc plus robustes, ainsi que des dégâts limités en cas d’accident critique en termes de stérilisation d’un territoire.
Cependant, la plupart des projets étant pour l’instant au stade de la conception, ni le potentiel d’usages ni la rentabilité des SMR n’ont été vérifiés par l’exploitation. D’autres questions demeurent, comme celles de la capacité de l’offre à se préciser, de l’existence d’une demande effective ou encore de la compétitivité à moyen terme des SMR par rapport à d’autres moyens de production décarbonés.
En décembre 2021, la Chine annonçait la mise en service de la première tranche de sa centrale nucléaire de Shidao Bay, composée de deux réacteurs de 4ème génération pour une puissance unitaire de 210 MWe (500 MWth). Elle est non seulement la première centrale nucléaire à haute température à être mise en service, mais aussi la deuxième centrale à petits réacteurs modulaires à être raccordée au réseau – après la centrale nucléaire flottante de l’Akademik Lomonosov en Sibérie.

Bien que le nombre de réacteurs de ce type actuellement en service se compte sur les doigts d’une main, ces petits réacteurs modulaires – ou en anglais Small modular reactors (SMR) – font l’objet d’un intérêt croissant dans le monde depuis quelques années. Les projets en développement se multiplient, à l’instar du projet de la startup américaine NuScale, du projet britannique de Rolls-Royce soutenu par le Qatar ou encore du projet Neward en France, développé depuis 2018 par un consortium associant EDF, le CEA, Naval Group et TechnicAtome. À cet engouement pour les SMR à l’échelle internationale s’ajoutent les récentes annonces de soutien public à leur développement : le plan France 2030 prévoit, en effet, un milliard d’euros pour les innovations de rupture dans le nucléaire, notamment en vue de faire émerger des « réacteurs de petite taille, innovants, avec une meilleure gestion des déchets[1] ».
Le terme « SMR » regroupe des modèles de réacteurs de 3ème ou 4ème génération qui ont en commun d’être (1) de faible puissance unitaire – inférieure à 300 MWe – et (2) « modulaires », c’est-à-dire pouvant être préassemblés en usine, sous forme de blocs compacts facilitant leur fabrication en série et leur installation sur le site[2]. Compte tenu de leur taille et de leur compacité, les SMR représentent a priori la promesse d’une accessibilité financière et technique du nucléaire bien plus importante que celle des grandes centrales.
Avec une puissance qui n’excède pas 300 MWe, les SMR se placent en rupture avec le « gigantisme » nucléaire qui a doté la France d’une cinquantaine de réacteurs nucléaires depuis les années 1970, pour des puissances comprises entre 900 MW et 1 450 MW par réacteur (hors Flamanville 3).
Pensé pour améliorer la compétitivité des réacteurs, ce gigantisme peut toutefois se heurter à la complexité des systèmes de sûreté et au niveau élevé d’immobilisation de capital nécessaire, peu accessible pour des acteurs se finançant sur le marché. Dans ce contexte, la petite taille et la modularité des SMR rendent possibles des simplifications et des optimisations difficilement accessibles sur grands réacteurs[3], ce qui les dote de potentiels accrus en termes de maîtrise des coûts et des délais de livraison, mais aussi de sûreté et de gestion des déchets.
Leur conception dérivant de la propulsion navale (sous-marins et porte-avions), les SMR ne requièrent pas de rupture technologique majeure : leur principal avantage serait donc industriel. Ils peuvent être préassemblés en usine, sous un format compact et standardisable, ce qui limiterait les besoins de travaux sur site – et par là même, les coûts supplémentaires et les retards de livraison qui peuvent être importants lors de la construction d’une centrale nucléaire. En termes de sûreté, la compacité des SMR permet d’imaginer des concepts à moitié enterrés ou souterrains, avec, par rapport à des réacteurs plus puissants, une robustesse accrue et une moindre puissance résiduelle à évacuer en cas d’accident ou d’agression (séismes, conditions climatiques extrêmes). Les SMR devraient donc pouvoir respecter des objectifs de sûreté plus exigeants que les réacteurs à forte puissance[4]. Leurs coûts de démantèlement seraient enfin moindres – à titre de comparaison, pour les réacteurs du parc actuel, ils sont estimés par EDF entre 350 et 500 millions d’euros par tranche, même si ces chiffres sont considérés comme optimistes[5].
Compte tenu de ces spécificités, les SMR sont vus comme un moyen pour des pays émergents ou en développement d’accéder au nucléaire civil grâce à un coût d’entrée moins élevé qu’avec des grandes centrales. Cette perspective les destine a priori principalement à l’exportation. Or, ce marché est aujourd’hui caractérisé par une abondance de projets, plus ou moins avancés, bénéficiant généralement du soutien financier de la puissance publique, en contraste avec une demande balbutiante.
Ces nombreux projets développent des modèles de SMR concurrents, de tailles et technologies différentes, qui sont par ailleurs destinés à des usages tout aussi variés.
À l’heure actuelle et parmi les projets existants, les plus petits SMR semblent plutôt pressentis pour répondre à des besoins en zones isolées : en Russie par exemple, les réacteurs à eau pressurisée de l’Akademik Lomonosov ont été raccordés au réseau en 2019 pour alimenter la ville de Chaun-Bilibino (Sibérie), tandis que d’autres SMR sont utilisés pour la propulsion de nouveaux brise-glaces. Toujours en Sibérie, la Russie prévoit aussi de développer un gisement aurifère grâce à une alimentation électrique par un SMR de 50 MWe[6]. Les réacteurs de taille intermédiaire (jusqu’à 200 MWe) seraient quant à eux propices aux usages sur sites industriels électro-intensifs. Ils peuvent alors être associés à la production d’hydrogène décarboné, mais aussi, dans le cas des réacteurs à haute température à l’instar de la centrale de Shidao Bay, permettre la récupération de chaleur pour la génération électrique ou pour des procédés industriels[7]. Enfin, parmi les plus gros SMR figure le projet Neward (340 MWe), destiné à répondre à des besoins de remplacement de centrales thermiques sur le segment de puissance 300 à 400 MWe.
Quant au niveau national, bien qu’il n’existe pas aujourd’hui de besoin clairement identifié pour les SMR, ceux-ci pourraient compléter, à moyen terme, des réacteurs de forte puissance du parc nucléaire. Dans le cas où la disponibilité des sites d’installation de réacteurs nucléaires se raréfieraient, les SMR pourraient également représenter une opportunité de réutilisation d’infrastructures nucléarisées sur les sites où des réacteurs historiques devaient être mis à l’arrêt.
Ces potentialités importantes n’ont toutefois pas été démontrées par l’exploitation de SMR opérationnels : la plupart des projets sont pour l’instant au stade de la conception. Les SMR continuent donc de poser un certain nombre de questions.
Leur rentabilité est en effet pour le moment incertaine : la puissance des SMR, trois à quatre fois inférieure à celle des grands réacteurs, ne permet plus de réaliser les mêmes économies d’échelles, laissant présager un coût de l’électricité au kWh plus élevé pour les SMR que pour les réacteurs de 900 à 1 450 GWe déjà installés. Certes, on peut considérer que la modularité et le préassemblage en usine des SMR permettront à terme une production de masse, réduisant les coûts par effet d’apprentissage,compensant ainsi la perte d’économies d’échelle. Toutefois, l’industrialisation suppose l’existence d’une demande suffisante – qui pourrait quant à elle ne pas être stimulée si les coûts demeurent trop élevés. Par ailleurs, elle peut poser des questions logistiques liées à la sûreté et la qualité (pour garantir une qualité de fabrication, notamment afin d’éviter des « rappels de lots »).
Dans tous les cas, l’éventuelle rentabilité des SMR est subordonnée à un effort de standardisation, qui est pour le moment difficilement atteignable compte tenu, d’une part, des stades précoces d’avancement des projets actuels et, d’autre part, de la diversité des modèles concurrents de SMR. Autre condition de succès du développement des SMR : l’harmonisation des approches de sûreté.
Enfin, comme toute offre d’énergie nucléaire, les SMR sont en concurrence avec les énergies renouvelables, pour lesquels d’importants progrès sont enregistrés. S’il est difficile de préjuger de la compétitivité de l’offre nucléaire par rapport aux renouvelables à l’horizon de l’entrée en service de solutions de SMR, il est toutefois prévisible que le système électrique aura besoin de puissances garanties et modulables pour faire face à l’intermittence de la production renouvelable en l’absence de stockage de grande capacité. Il est cependant nécessaire pour les SMR ne pas « arriver trop tard » sur le marché faute de quoi cette technologie risque de ne pas contribuer à la décarbonation des systèmes énergétiques.
Face à ces nombreuses interrogations, le développement des SMR se poursuit, l’objectif de la plupart des projets, à l’instar du projet français Neward, étant d’être prêt pour la décennie 2030 au moment où de nombreux pays d’Asie, Afrique et Europe de l’Est devront fermer leur parc thermique pour respecter leurs engagements climatiques, créant ainsi de nouveaux débouchés.
Nota bene CRE : Les « Billet[s] du lundi » du Comité de prospective de la CRE présentent des sujets qui ont trait au secteur de l’énergie sur la base de synthèses documentaires ou d’observations sur des articles ou des documents élaborés par des tiers. Ces synthèses n’engagent pas le collège de la Commission de régulation de l’énergie. Ils ont pour but d’attirer l’attention des acteurs sur des éléments factuels auxquels ils peuvent réagir par retour de contribution à notre adresse : eclairerlavenir@cre.fr
[1] France 2030 : https://www.gouvernement.fr/france-2030-un-plan-d-investissement-pour-la-france-de-demain.
[2] Par exemple, le projet Nuward prévoit deux réacteurs de 170 MWe par centrale, abrités dans une enceinte métallique de 16 mètres de haut. Le projet NuScale prévoit, quant à lui, une enceinte de 23 mètres de haut et de 4,6 mètres de diamètre dans laquelle seraient contenus le pressuriseur et le générateur.
[3] Par exemple : absence de bore, réacteur intégré.
[4] Note d’information du 7 octobre 2021 « La sûreté des réacteurs modulaires de faible puissance (Small Modular Reactors) », IRSN.
[5] Rapport du 23 juin 2018 au nom de la commission d’enquête sur la sûreté et la sécurité des installations nucléaires, Assemblée nationale.
[6] Projet Oust-Jouïga : sur les 50 MWe, 35 MWe seront réservés à la mine, le reste étant destiné à la fourniture d’énergie aux territoires voisins.
[7] https://www.usinenouvelle.com/article/la-chine-devance-le-reste-du-monde-avec-le-premier-mini-reacteur-nucleaire-a-haute-temperature-en-fonctionnement.N1173662.