L’imbrication croissance du numérique et de l’énergie a deux aspects. D’une part, les nouvelles technologies du numérique permettent de gérer un système énergétique de plus en plus complexe et dépendant d’échanges et de traitement de données en temps réel. D’autre part, la consommation en énergie croissante des moyens de transfert et de traitement de l’information a des effets sur le système énergétique. A cet égard, les technologies quantiques induiraient des changements massifs pour le monde de l’énergie, en étant à la fois infiniment plus rapides et potentiellement plus économes en énergie.

« La profondeur de la rupture que pourraient induire les technologies quantiques dans les prochaines décennies est au moins comparable à celle qui résulte de l’invention du transistor au milieu du XXe siècle »[1].
L’année 2020 a été prometteuse pour le développement des technologies quantiques. Fin décembre 2020, la NASA a annoncé avoir réussi la première téléportation quantique longue distance de l’histoire. Un groupe de chercheurs de l’Agence spatiale américaine aurait réussi à envoyer des qubits (bits quantiques) à travers 44 kilomètres de réseau de fibre optique, en atteignant un degré de fiabilité de 90 %[2] ! L’infrastructure utilisée a été créée à partir de matériaux qui pourraient être compatibles avec les réseaux internet existants. En cas de breakthrough quantique, prévu pour le siècle prochain, cette technologie pourrait se déployer plus rapidement que prévue. La même année, des chercheurs australiens ont découvert un moyen de contrôler un noyau atomique par champs électriques. Contrôler de tels noyaux, grâce à des champs électriques plutôt que magnétiques, en utilisant des puces de silicium standards, ouvre de nouvelles perspectives. Notamment celle de contrôler les qubits d’une manière simple et de la même façon qu’un transistor[3].
Ces annonces marquent des avancées technologiques majeures dans la course au développement de l’ordinateur quantique et de la cryptographie post-quantique, à laquelle se livrent principalement la Chine et les États-Unis.
1. Le fonctionnement d’un ordinateur quantique
Dans un ordinateur classique les informations sont codées en binaire, l’unité de stockage définie en bit se trouve dans deux états, soit « 0 » soit « 1 ». L’unité de stockage de l’information quantique se définit quant à elle en bit quantique : « qubit ». Celui-ci fonctionne comme les bits, tout en utilisant les propriétés de la physique quantique : la superposition et l’intrication. La puissance de calcul des ordinateurs quantiques, nettement supérieure aux ordinateurs classiques, est permise par la capacité des qubits à superposer simultanément les deux états binaires. Cet état de superposition permet de multiplier de façon exponentielle la vitesse de calcul d’un ordinateur quantique, au fur et à mesure que des qubits lui sont ajoutés.
Là où l’ordinateur classique enregistre ses arbres de choix, l’ordinateur quantique « considère » l’ensemble des choix par la superposition. En théorie, l’ordinateur quantique a « accès à la totalité des résultats possibles d’un calcul en une seule étape, là où un ordinateur classique doit traiter l’information de façon séquentielle, un résultat après l’autre »[4].
Par exemple, avec 4 bits, un ordinateur classique peut traiter 1 état parmi 24, soit 16 états différents : 0000, 0001, 0010, 0011, etc. Avec un ordinateur quantique, les 4 qubits sont dans une superposition d’états ce qui permet à l’ordinateur quantique de traiter simultanément les 16 états.
Un des enjeux principaux, pour produire et faire fonctionner des qubits est de réussir à garantir leur stabilité physique. Cette stabilisation demande de maintenir l’ordinateur à une température proche du zéro absolu (- 273,15 °C) par un refroidissement à hélium liquide.
2. Un plan d’investissement quantique pour la France d’1,8 Md€ sur 5 ans
Le 21 janvier 2021, la France a lancé son plan d’investissement quantique doté de plus de 2Md€ (1,5 Md€ d’argent public, 200 M€ de crédits européens et 550 M€ de crédits privés) sur 5 ans, pour accompagner les transformations informatiques et industrielles liées à cette technologie. Avec 200 M€ de dépenses publiques annuelles, majoritairement à destination du développement des ordinateurs quantiques, la France se positionne en troisième position en termes d’investissement, derrière la Chine et les États-Unis.
Le plan quantique prévoit d’inclure des priorités sur ces technologies dans des appels à projets de l’Agence nationale de la recherche et dans les critères de sélection des Concours innovation et des Projets structurants pour la compétitivité (PSPC). Ce Plan devrait également arborer une approche « top-down » en incluant le quantique dans les Grands-Défis supportés par les actions du Programme d’investissement d’avenir (PIA).
À titre comparatif, la Chine a mis 8 Md$ en crédits publics pour développer le prototype d’ordinateur quantique le plus puissant au monde Jiuzhang[5] (76 qubits), concurrencé par l’américain Honeywell (64 qubits).
3. L’intérêt de la technologie quantique pour le système énergétique
La consommation du secteur du numérique représente aujourd’hui « 10 % de la consommation française totale d’électricité pour une consommation de 44,3 TWh »[6], selon le Haut conseil pour le climat qui prévoit qu’elle pourrait augmenter de 10 à 100 % d’ici 2030.
La performance de calcul offerte par la technologie quantique, pourrait réduire la consommation énergétique du secteur numérique, en diminuant les besoins en surface des data centers qui hébergent les flux d’informations en transit. Les plus optimistes, considèrent que si cette technologie arrive à maturité, elle sera un million de fois moins consommatrice d’énergie que notre système numérique actuel.
Cette baisse de consommation sera avérée, si les besoins thermiques et énergétiques, pour héberger et refroidir les ordinateurs quantiques, ne sont pas supérieurs à ceux des data centers, et ce, sur l’ensemble de leurs cycles de vie.
Concernant la production de sources renouvelables, les algorithmes d’optimisation programmés sur un ordinateur quantique pourraient rationaliser la répartition des installations de production renouvelable. Par un travail cartographique, les algorithmes quantiques pourraient ajuster les optimums de chaque gisement pour choisir l’implantation des parcs[7].
Le calcul quantique pourrait améliorer la planification de la production d’énergie et les problèmes d’intermittences des énergies renouvelables. Il pourrait ajuster, en temps réel, les divers sites de production (hydraulique, éolien et solaire) selon leurs contraintes de stop&go et leurs coûts associés, pour équilibrer le système.
En 2019, ExxonMobil a signé un accord avec IBM portant sur le développement de technologies de production d’énergie renouvelable en utilisant l’informatique quantique[8].
L’internet quantique pourrait accompagner les gestionnaires de réseaux, les fournisseurs et les tiers à développer des services en aval compteur. L’infrastructure en réseau quantique pourrait améliorer la sécurité des données cryptées, augmenter le débit de la bande passante pour favoriser le développement de l’internet des objets (IoT) et les services de pilotage utilisant de l’intelligence artificielle.
Le projet européen H2020 CiViQ, ambitionne de développer un réseau de communication quantique dans les réseaux de télécommunications classiques. Ce projet intègre plusieurs acteurs européens dont Orange, la Deustche Telekom et Telefonica pour le développement d’applications et de services sécurisés.
Concernant le tarissement des puits d’extraction d’énergies fossiles (pétrole et gaz), les entreprises comptent de plus en plus sur le traitement géophysique des ondes pour localiser de nouveaux sites de forage. L’informatique quantique pourrait accélérer le processus de découverte et contribuer à l’optimisation des forages, tant pour les nouvelles installations que pour les anciennes[9].
L’ordinateur quantique n’est qu’au début de son histoire et de ses promesses … Affaire à suivre …
Nota bene CRE : Les « Billet[s] du lundi » du Comité de prospective de la CRE présentent des sujets qui ont trait au secteur de l’énergie sur la base de synthèses documentaires ou d’observations sur des articles ou des documents élaborés par des tiers. Ces synthèses n’engagent pas le collège de la Commission de régulation de l’énergie. Ils ont pour but d’attirer l’attention des acteurs sur des éléments factuels auxquels ils peuvent réagir par retour de contribution à notre adresse : eclairerlavenir@cre.fr.
[1] Haut conseil pour le climat, Déploiement de la 5G en France :Quel impact sur la consommation d’énergie et l’empreinte carbone ?, 2020 [https://www.hautconseilclimat.fr/wp-content/uploads/2020/12/rapport-5g_haut-conseil-pour-le-climat_etude-exterieure.pdf].
[2] PWC France, L’Informatique Quantique : la 5e révolution, 2019 [https://www.pwc.fr/fr/assets/files/pdf/2019/11/fr-france-pwc-point-of-view-quantum-computing-2019.pdf]
[3] [https://www.ibm.com/case-studies/exxonmobil/]
[4] Source : BCG, Where Will Quantum Computers Create Value—and When?, 2019 [https://www.bcg.com/fr-fr/publications/2019/quantum-computers-create-value-when]
[5] Mission parlementaire du 15 avril 2019 au 3 octobre 2019, Quantique : le virage technologique que la France ne ratera pas, 2019 [https://forteza.fr/wp-content/uploads/2020/01/A5_Rapport-quantique-public-BD.pdf].
[6] : The Independent, NASA scientists achieve long-distance quantum teleportation that could pave way for quantum internet, 21 December 2020, [https://www.independent.co.uk/life-style/gadgets-and-tech/quantum-teleportation-nasa-internet-b1777105.html].
[7] Un noyau atomique contrôlé par l’électricité, ou la sérendipité au service de l’ordinateur quantique, 18 mars 2020 [https://leblob.fr/actualites/un-noyau-atomique-controle-par-electricite-ou-la-serendipite-au-service-de-ordinateur]
[8] CNRS Le Journal, Ordinateur : les promesses de l’aube quantique, 2019 [https://lejournal.cnrs.fr/articles/ordinateur-les-promesses-de-laube-quantique]
[9] Futura Tech, Un circuit quantique exécute un calcul 100.000 milliards de fois plus vite qu’un superordinateur, 2020 https://www.futura-sciences.com/tech/actualites/ordinateur-quantique-circuit-quantique-execute-calcul-100000-milliards-fois-plus-vite-quun-superordinateur-84598/.