Brûler ses déchets pour en faire de la chaleur, voire de l’électricité, est une idée ancienne qui prend de plus en plus d’ampleur. Non seulement la contrainte sur les émissions de gaz à effet de serre s’accroît pour le système énergétique, mais aussi et surtout, les exutoires pour les déchets non dangereux sont de plus en plus limités alors que leurs flux annuels de production, s’ils ne progressent, par restent à un niveau constant. Les combustibles solides de récupération (CSR), techniquement plus performants en termes de rendement énergétique que les usines d’incinération classiques, permettent de traiter un volume important déchets non dangereux issus des refus de tri. Ces combustibles pourraient prendre une place significative dans les systèmes énergétiques de demain pour les décarboner. La question est de savoir de quelle façon, l’internalisation d’externalités négatives liées d’une part, à la réduction des émissions de CO2 et, d’autre part, celles liées à la diminution de l’espace d’enfouissement des déchets, peuvent participer à créer un modèle d’affaire robuste pour des technologies de production d’énergie à partie de déchets.
Le rapport sur l’Évaluation des capacités de traitement des déchets en France à l’horizon 2040[1] de Jean-Louis CHAUSSADE, ancien Président de Suez et Président du Comité stratégique de filière « Transformation et valorisation des déchets », considère que les Combustibles solides de récupération (CSR) pourraient contribuer à limiter la dépendance de la France aux énergies fossiles et répondre aux objectifs de réduction de 50 % les quantités de déchets non dangereux non inertes admis en installation de stockage d’ici 2025 par rapport à 2020, fixés par la loi du 17 août 2015 relative à la transition énergétique pour la croissance verte (7° du V de l’article 70).
Selon l’Ademe, l’objectif de réduction de 50 % des tonnages enfouis conduira à détourner environ 12 millions de tonnes de déchets de l’enfouissement et à générer près de 2,5 millions de tonnes par an de CSR en 2025.
Par rapport aux usines d’incinération classiques de déchets, les CSR qui ont une valeur calorifique supérieure à celles des biomasses par leur concentration, prennent la forme de combustibles transportables. Ainsi, les CSR peuvent alimenter des systèmes de chaufferie qui ne sont pas directement raccordés à une usine de tri/d’incinération des déchets.
1. Qu’est-ce que les combustibles solides de récupération ?
Les combustibles solides de récupération sont préparés à partir des déchets ménagers résiduels non dangereux qui ne sont pas triés, tels que le bois, le plastique, le papier, le carton ou les tissus non recyclables. En produisant des CSR à partir de déchets destinés à l’enfouissement, la collectivité réduit la surface des sols utilisée par les installations de stockage de déchets, tout en les transformant en combustibles énergétiques.
L’extraction de la valeur thermique et énergétique de ces déchets consiste dans un premier temps, à construire des usines de préparation de CSR, pour que les déchets se transforment en combustibles, et dans un second temps à utiliser ces combustibles pour produire de la chaleur, de l’électricité ou du gaz.

2. Les combustibles solides de récupération : des intrants pour la production de chaleur, d’électricité et de gaz
La transformation de déchets non dangereux en CSR, permetde réduire les volumes de déchets enfouis en leur donnant une « seconde vie » en tant que combustibles. C’est une solution de production locale qui peut se substituer à une partie des énergies carbonées importées, telles que le gaz naturel et le charbon. Ils peuvent être utilisés comme combustibles directs :
- pour alimenter des chaufferies industrielles, notamment de gros consommateurs thermiques comme les cimentiers, les papetiers, des hauts fourneaux et les industriels de la chimie. Dans ce cas, les usines de productions de CSR peuvent être implantées directement sur les sites industriels pour produire les combustibles. Selon l’Ademe, d’ici 2025 les cimenteries pourraient détourner de l’enfouissement 1 million de tonnes de déchets non dangereux par an grâce à ce modèle ;
- pour alimenter des réseaux de chaleur urbains et donc des chaudières individuelles ;
- pour alimenter des systèmes de cogénération, où une partie de la vapeur à haute température produite par la combustion du CSR est utilisée pour produire de l’électricité et l’autre partie, pour servir un système de chauffage ;
- pour alimenter des usines d’incinération dédiées à la production électrique.
Les CSR peuvent aussi être valorisés dans des processus de pyrolyse et de gazéification permettant de les convertir en liquide ou gaz de synthèse (syngas) injectables sur le réseau.
3. Le coût de production des CSR
Le rapport du Comité stratégique de filière « Transformation et valorisation des déchets » souligne que « l’énergie produite par 1 million de tonnes de CSR permettrait d’éviter l’import de 1,8 million de barils de pétrole, participant ainsi à une économie de 350 000 tonnes d’équivalent CO2 ».
La production et la valorisation énergétique des CSR ne sont aujourd’hui pas compétitives hors subventions de l’État, face au prix du gaz et du fioul qui alimentent les segments ciblés par cette industrie. Une partie des hypothèses de rentabilité économique pour les CSR, reposent sur une évolution significative du prix de la tonne de CO2, à plus de 100 €/t, ainsi que d’une revalorisation de la taxe générale sur les activités polluantes (TGAP), de sorte qu’elle soit une incitation à la production de CSR plutôt qu’à l’enfouissement des déchets.
Le Comité stratégique de filière propose d’indexer le prix de la chaleur produite par CSR sur celui du gaz, soit à environ 30 €/MWh pour que la production de l’énergie thermique issue de la production de CSR concurrence directement l’importation de gaz naturel. Le prix de la chaleur produite à partir du CSR dépend du niveau d’investissement pour installer l’usine de transformation des ordures ménagères, et du tarif d’achat de l’énergie produite par les installations utilisant les CSR.
Au strict périmètre de la transition énergétique, les CSR ne sont pas forcément une solution économique à court terme. Ils permettent d’internaliser des externalités négatives issues de la consommation des ménages ainsi que de la production et de la gestion des déchets à l’échelle d’un territoire.
Pour que le modèle économique des CSR soit concurrentiel et apporte des bénéfices pour la collectivité, il doit permettre de valoriser deux externalités en même temps :
- celle liée aux émissions de CO2 évitées, lorsque les CSR se substituent à des sources fossiles de production de chaleur, d’électricité et de gaz – renvoyant au prix de la tonne de C02 –;
- celle liée à la gestion des déchets par le biais de la TGAP.
À ce stade, les modèles d’affaires des CSR permettent de valoriser une seule externalité sur deux. Cela peut apparaître insuffisant pour justifier de favoriser, via des aides publiques, la production de CSR par rapport à d’autres technologies de recyclage des déchets.
4. La structuration de la filière CSR et les chiffres clés pour l’avenir
La structuration de la filière industrielle CSR française est en marche depuis 2015. Elle bénéficie (i) du soutien de l’Ademe, via les appels à projets « Énergie CSR » financés par le Fonds économie circulaire, (ii) du soutien de l’Ademe via le Fonds chaleur et (iii) du soutien du Comité stratégique de filière via des appels à projets spécifiques et la signature de contrats de filière. Le Plan de Relance 2020 prévoit également de renforcer les aides pour cette filière.
L’Ademe et le Comité stratégique de filière accompagnent des projets pilotes de centres de tri de production de CSR, et des projets de valorisation énergétique de ces matières. En 2019, l’Ademe a soutenu 6 projets d’une puissance thermique installée de 340 MW PCI pour une production totale de 2,3 TWh/an, équivalent à une quantité 672 000 tonnes de CSR qui seront valorisés annuellement.
La valorisation énergétique des CSR peut également faire l’objet d’un soutien public dans le cadre de contrats d’achat visant à sécuriser les investissements, dès lors que les CSR sont utilisés pour de la production d’électricité ou de biométhane par exemple.
Le groupe de travail n°2 de la saison 3 du Comité de prospective sur les « Nouvelles villes et les nouveaux réseaux », dont les conclusions seront publiées d’ici l’été, analyse également le potentiel de valorisation thermique des déchets favorable aux solutions de couplages des réseaux en cœur de ville.
Nota bene CRE : Les « Billet[s] du lundi » du Comité de prospective de la CRE présentent des sujets qui ont trait au secteur de l’énergie sur la base de synthèses documentaires ou d’observations sur des articles ou des documents élaborés par des tiers. Ces synthèses n’engagent pas le collège de la Commission de régulation de l’énergie. Ils ont pour but d’attirer l’attention des acteurs sur des éléments factuels auxquels ils peuvent réagir par retour de contribution à notre adresse : eclairerlavenir@cre.fr.
[1] Jean-Louis CHAUSSADE, Évaluation des capacités de traitement en France à l’horizon 2040, décembre 2020.
[2] Actu environnement,
“Déchets : une usine pour transformer les ordures ménagères en combustibles solides de récupération“, 21 décembre 2016 [https://www.actu-environnement.com/ae/news/dechets-usine-henin-beaumont-transforme-ordures-menageres-combustibles-solides-recuperation-28129.php4]