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Billet du lundi : la capture et le stockage du carbone, un atout pour la transition énergétique ?

En promettant, au début du mois de février, une récompense de 100 millions de dollars à qui trouverait une solution efficace pour capter et stocker le carbone, Elon Musk a replacé le CSC (Capture et Stockage du Carbone, ou CCS en anglais[1]) sous les feux de la rampe.

Le CSC est l’une des façons de capter le dioxyde de carbone (C02) dans l’atmosphère ou dans des fumées industrielles. Il est complémentaire des politiques d’efficacité et de décarbonation des mix énergétiques, mais également d’autres méthodes de captage de CO2, notamment agroforestières. Il tient à cet égard une place importante dans les scénarios de décarbonation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC).

Pour limiter le réchauffement climatique sous la barre des 2°C, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) estime les besoins de CSC à plus de 5 000 Mt de C02 captées annuellement à horizon 2050 (soit près de 10 % de l’effort de réduction de C02), contre seulement 40 Mt en 2020.

Vingt-six installations sont déjà opérationnelles dans le monde, principalement aux États-Unis, alors que la majorité des projets d’installations de CSC recensés par le Global CCS Institute se situent en Europe, notamment en mer du Nord (Royaume-Uni, Norvège et Pays-Bas). En France, les projets en sont encore au stade du démonstrateur. Deux projets pilotes ont été menés sur le site de Lacq (en 2010) et au Havre (en 2013), et un troisième est en cours à Dunkerque, emmené par un consortium de 11 acteurs qui cherchent à développer un nouveau procédé de captage de C02 d’origine industrielle (capacité de 0,5 tonne de CO2 par heure en phase 1, puis 125 tonnes/heure en phase 2) qui doit permettre de réduire de 30 % le coût du captage.

Pour atteindre la neutralité carbone à l’horizon 2050, le scénario de référence de la Stratégie nationale bas-carbone (SNBC) estime que les technologies de CSC permettront d’éviter 6 Mt/an de CO2 dans l’industrie, et de réaliser 10 Mt/an de CO2 « d’émissions négatives » sur des installations de production d’énergie à partir de biomasse[2].

Ces différentes prévisions n’occultent pas le fait que le coût des technologies de CSC reste encore élevé et que des questions subsistent quant à son potentiel réel. Comme le résume l’annexe 5 de la SNBC, « les incertitudes sur ces technologies, leur acceptabilité, ainsi que sur la disponibilité et la fiabilité du stockage conduisent à envisager avec prudence le développement de ces technologies, conditionné à la définition d’un modèle économique viable joint à une bonne maîtrise des risques sur le long terme ». Voici un rapide panorama des questions que soulève le CSC.

De quoi s’agit-il ?

La chaîne de valeur du CSC, sur laquelle de nombreux acteurs interviennent, se décompose schématiquement en trois étapes.

  • La capture du carbone.
    • Elle se fait principalement par séparation du C02 des fumées émanant de productions industrielles (acier, ciment, raffineries, production amont de gaz et de pétrole) et énergétiques. Elle nécessite, soit de construire de nouvelles unités intégrant un dispositif de captage (avec un surcoût moyen de 40 % selon l’IFPEN), soit d’intégrer des technologies de CSC (technologies de postcombustion ou d’oxycombustion) aux infrastructures énergétiques et industrielles existantes. Ce dernier cas est le plus fréquent. Il convient de noter que la capture du C02 est particulièrement consommatrice en énergie. Pour une centrale thermique, cette « pénalité énergétique » peut représenter 25 % de l’énergie produite. Le captage est l’étape la plus coûteuse de la chaîne de valeur, représentant généralement 65 à 75 % du coût total du CSC selon l’IFPEN.
    • La capture du carbone peut également se faire directement dans l’air (Direct Air Capture), même si ce procédé n’est pas privilégié aujourd’hui, car plus le C02 est dilué, plus il est difficile à capter.
  • Le transport du carbone.
    • Il est réalisé principalement par tuyaux dédiés. Plus de 5 000 kilomètres de tuyaux sont déjà utilisés aux États-Unis pour le transport du carbone. En Europe, les Pays-Bas disposent également de canalisations dédiées au transport de C02.
    • Il peut également se faire par navire. Le C02 est alors transporté sous forme liquéfiée à – 56,6°C.
  • Le stockage du carbone.
    • Soit dans des aquifères, qui sont des roches sous-terraines capables d’absorber le C02. Le potentiel de stockage n’est pas limitant, car les capacités, très élevées, sont estimées à date entre 8 000 et 50 000 milliards de tonnes. Le problème réside plutôt dans la localisation de ces aquifères, qui nécessite de mener de coûteuses campagnes d’exploration.
    • Ou soit dans des champs de gaz déplétés. Ces derniers sont bien connus des acteurs gaziers. La principale inconnue réside dans le fait de savoir si le C02 peut pénétrer, ou non, dans les puits qui ont été cimentés lors de l’arrêt de l’exploitation du champ.

À noter, par ailleurs, que le C02 peut être utilisé pour des procédés industriels – le marché est estimé à 30 Mt/an – ou encore pour la « récupération assistée du pétrole » qui consiste à injecter du C02 dans un gisement de pétrole pour en optimiser l’extraction. C’est ce procédé qui assure aujourd’hui la rentabilité des installations de CSC aux États-Unis. On parle alors de CCUS (pour Carbon Capture, Utilization and Storage).

Quelles questions le CSC soulève-t-il ?

Des questions technico-économiques

Adapter les infrastructures industrielles et énergétiques existantes en y ajoutant des technologies de CSC peut être un moyen d’éviter des coûts échoués et de maîtriser les besoins en investissement. Si l’on considère par exemple le parc installé d’unités de production fonctionnant au charbon, au pétrole ou au gaz dans le monde, leur substitution complète par d’autres moyens de production décarbonés représenterait des investissements et de coût échoués massifs. Le CSC est donc une option qui pourrait contribuer à la décarbonation du parc de production électrique en maîtrisant les investissements et coûts échoués.

Le coût total du CSC est aujourd’hui estimé entre 100 et 150 $ la tonne, encore loin des prix actuels du marché du carbone (autour de 42 euros/tonne sur le marché européen). Les technologies ne sont donc pas viables, aujourd’hui, sans soutien public. En plus des différentes subventions (notamment européennes) et à titre d’illustration, les Pays-Bas ont mis en place des contrats de différence pour compenser l’écart avec le prix du carbone sur le marché et soutenir ainsi l’essor de la filière.

La réduction des coûts de captage passe essentiellement par des améliorations technologiques. Contrairement aux technologies de production d’énergie, l’effet volume a un moindre impact sur la capacité à réduire ces coûts. Une des pistes d’amélioration porte sur la valorisation de la chaleur contenue dans les gaz dans lesquels le C02 est capté, pour optimiser les procédés industriels et en réduire les coûts. Dans le cas des unités de production d’électricité, la possibilité de valoriser la chaleur fatale reste aujourd’hui circonscrite à des configurations très spécifiques.

Des questions environnementales et d’acceptabilité

La première question porte sur la capacité des aquifères salins et des champs déplétés à stocker le carbone sur de longues périodes. Au niveau des puits d’injection ou d’observation, des fuites diffuses sont possibles, s’ils perdent en étanchéité pour différentes raisons (vieillissement des matériaux au contact du C02, évènements sismiques…).

La seconde question est d’ordre géologique. D’éventuelles variations locales de la porosité de la roche, la réactivation possible de failles et les effets de la microsismicité induite par la mise sous pression de la roche-réservoir ou d’une cavité creuse par injection d’eau, doivent être envisagés.

Enfin, des questions demeurent quant au bilan carbone total du CSC, qui doit être précisé. Ce dernier laisserait s’échapper entre 5 et 10 % du C02 au moment du captage. La chaîne logistique associée au CSC émet par ailleurs entre 10 et 20 % du C02 stocké, ce qui dégrade son bilan carbone final.

Ces différents points sont de nature à susciter des oppositions aux projets de CSC et complexifier son développement.

Nota bene CRE : Les « Billet[s] du lundi » du Comité de prospective de la CRE présentent des sujets qui ont trait au secteur de l’énergie sur la base de synthèses documentaires ou d’observations sur des articles ou des documents élaborés par des tiers. Ces synthèses n’engagent pas le collège de la Commission de régulation de l’énergie. Ils ont pour but d’attirer l’attention des acteurs sur des éléments factuels auxquels ils peuvent réagir par retour de contribution à notre adresse : eclairerlavenir@cre.fr.


[1] Carbon Capture and Storage

[2] Le C02 capté par la biomasse n’étant pas relâché dans l’atmosphère mais stocké, les émissions sont considérées comme « négatives ».