Présenté le 17 mai 2022 par la Commission européenne, le plan « REPowerEU » a pour objectif de réduire les importations de gaz naturel de l’Union européenne de 17 milliards de mètres cubes d’ici 2030[1] : pour ce faire, il prévoit de porter la production européenne de biométhane[2] à 35 milliards de mètres cubes. Le plan inclut également des objectifs de diversification des approvisionnements en gaz, avec notamment une hausse des livraisons de gaz naturel liquéfié (GNL) en provenance du Canada et des États-Unis, chez qui la production de gazest repartie à la hausse en 2021.
Outre leur provenance géographique, quelles sont les différences entre tous ces types de gaz ? Sont-ils substituables, au niveau de leur coût, de leurs usages et de leurs impacts environnementaux ?
Les gaz conventionnels
Le gaz naturel est le gaz le plus courant pour l’usage domestique du gaz en ville et les besoins industriels. Il s’agit d’une énergie fossile formée à partir de la décomposition de matière organique dans la roche du fond des océans. Cette matière subit ensuite une transformation en usine de traitement et une épuration qui permet d’éliminer les sous-produits qui réduisent le pouvoir calorifique du gaz. In fine, ce gaz naturel est constitué essentiellement de méthane (formule CH4).
Il peut ensuite être :
- transporté par gazoduc sous sa forme gazeuse ;
- transporté par bateau après liquéfaction préalable. Ce mode de transport nécessite une regazéification à destination, grâce à des infrastructures ad hoc, appelées terminaux méthaniers ou par l’intermédiaire d’unités flottantes de stockage et de regazéification (Floating Storage and Regasification Unit – FSRU, en anglais) ;
- converti chimiquement en carburant liquide de synthèse, appelé « gaz naturel pour véhicule » (GNV).
Aujourd’hui, 65 % des réserves prouvées mondiales de gaz naturel se situent en Russie et au Moyen-Orient (principalement en Iran et au Qatar).
Enfin, le gaz de pétrole liquéfié (GPL) est un mélange d’hydrocarbures stocké à l’état liquide, issu du raffinage du pétrole et du traitement du gaz naturel. Il peut être utilisé :
- comme carburant pour les véhicules : dans ce cas, il est composé d’un mélange de propane (formule C3H8) et de butane (formule C4H10). Par rapport à l’essence et au gasoil, il présente des émissions d’azote (symbole N) et de monoxyde de carbone (formule CO) moindres ;
- comme gaz domestique, pour les logements non raccordés au réseau de distribution de gaz naturel : dans ce cas, il se présente sous la forme de citernes (pour le propane) ou de bouteilles de gaz.
Les gaz non conventionnels
Ces gaz ont une composition comparable à celle des gaz conventionnels (principalement composés de méthane) mais se distinguent par leur emplacement géologique : emprisonnés dans des roches peu perméables, ils nécessitent des techniques d’exploitation complexes.
Le gaz de schiste est certainement le gaz non conventionnel le plus connu, qui constitue une grande partie de la production de gaz non conventionnel dans le monde. Il s’agit d’un gaz occlus dans des roches-mères argileuses : son exploitation est plus difficile que celle du gaz conventionnel puisqu’il est piégé dans des roches très peu perméables et peu poreuses. Sa remontée à la surface doit être stimulée, le plus souvent en brisant la roche grâce à des fluides sous très haute pression, via un processus de fracturation hydraulique.
Comme le gaz naturel conventionnel, le gaz de schiste est principalement utilisé pour le chauffage et la production d’électricité.
Alors que l’Agence internationale de l’énergie (IEA) estime que l’Europe renfermerait 8 % des réserves mondiales de gaz de schiste, ces ressources n’y sont pas exploitées, en raison d’interdictions, mais aussi de difficultés inhérentes au forage du gaz de schiste : à forte emprise au sol, il est peu adapté aux zones denses où il suscite des nuisances pour les riverains. En France, l’exploitation de gaz non conventionnels est interdite : la loi du 13 juillet 2011[3] prohibe la fracturation hydraulique, dont les impacts environnementaux sont importants – mobilisation de grands volumes d’eau, risques de fuites de méthane, etc.
L’exploitation du gaz de schiste connaît toutefois un développement croissant aux États-Unis. Ce gaz ne représentait que 1 % de la production gazière américaine en 2000, contre 23 % en 2010 et 70 % en 2018[4]. Les États-Unis sont redevenus exportateurs de gaz en 2017.
D’autres gaz non conventionnels existent[5] :
- le gaz de houille (coalbed methane), emprisonné dans le charbon et fabriqué dans des usines à gaz pour être distribué dans les réseaux urbains (servait originairement à l’éclairage des rues), d’où son appellation de gaz de ville ;
- le gaz de réservoir compact (tight gas) que l’on trouve piégé dans certains réservoirs souterrains à faible perméabilité. L’Amérique du Nord concentre plus de 80 % de la production mondiale ;
- les hydrates de méthane (gas hydrate), mélange d’eau et de méthane piégé à basse température et sous haute pression, que l’on trouve principalement sous les océans, en Alaska et en Russie.
Enfin, des expérimentations ont été menées pour développer des gaz de bois, d’huile, de résine, de tourbe, …
Cette diversité constitue aujourd’hui une opportunité de substitution au gaz naturel, qui appelle néanmoins une vigilance à deux égards :
- leur caractère plus ou moins décarboné fait que certains peuvent être des candidats à la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. Ils sont cependant tributaires de la disponibilité de la matière première (biomasse, déchets, eaux usées) à partir de laquelle est mis en œuvre le processus de méthanisation, de pyrogazéification, de méthanation (production de gaz de synthèse) ou autre processus chimique plus complexe. Par ailleurs, leurs qualités environnementales peuvent être remises en cause par la concurrence avec d’autres usages potentiels de cette ressource, tout particulièrement pour les biogaz de première génération ;
- les infrastructures gazières actuellement déployées (par exemple, les terminaux méthaniers pour répondre à la crise d’approvisionnement de l’Europe) ne pourront pas accueillir simultanément des types de gaz hétérogènes. La valorisation de ces actifs – du moins l’absence de coûts échoués – dépendra de la capacité à trouver des substituts décarbonés au gaz naturel, dont les usages soient suffisamment dimensionnés pour justifier l’utilisation de ces actifs et, si possible, ne créant pas de nouvelles dépendances.
Les gaz renouvelables
Le biogaz, ou gaz naturel renouvelable, est le gaz naturel produit par un processus de fermentation de matières organiques, appelé « méthanisation »[6]. Ce processus naturel de digestion anaérobie peut être provoqué artificiellement grâce à des digesteursqui permettent de valoriser des déchets alimentaires, des matières organiques animales ou végétales (par exemple, du lisier ou des effluents d’élevage).
Le biogaz est principalement composé de méthane, mais aussi de dioxyde de carbone (formule CO2).
Il peut être :
- brûlé sur son lieu de production pour produire de la chaleur et de l’électricité (cogénération) ;
- purifié pour obtenir du biométhane, dont la teneur en méthane doit être au moins égale à 85 %. Ce biométhane peut être ensuite utilisé comme bioGNV pour la mobilité ou injecté dans le réseau de distribution de gaz naturel. Le bioGNV est principalement utilisé pour la décarbonation de la mobilité lourde ou longue distance, pour laquelle l’électrification n’est pas une solution optimale (par exemple, pour alimenter les poids lourds, les bus en moyenne et grande couronne ou encore les bennes d’enlèvement des ordures ménagères).
Par ailleurs, d’autres procédés que la méthanisation se développent pour produire du biométhane :
- le biométhane de « 2ème génération » valorise des biomasses sèches (bois, paille, produits de papeterie), via des procédés qui font encore l’objet d’expérimentations préindustrielles comme la méthanation ou la pyrogazéification[7]. Ce type d’intrants a l’avantage de ne pas placer le biométhane en concurrence avec les cultures vivrières, évitant ainsi les conflits d’usages des terres ;
- le biométhane dit de « 3ème génération » est quant à lui issu de la transformation directe de microalgues cultivées dans des réacteurs photosynthétiques. Cette solution fait toujours l’objet de travaux de recherche et développement.
[1] Ces importations représentent 155 milliards de mètres cubes par an.
[2] Cet objectif était déjà présent dans le « Paquet sur l’hydrogène et le gaz décarboné » présenté par la Commission européenne en décembre 2021.
[3] Loi n° 2011-835 du 13 juillet 2011 visant à interdire l’exploration et l’exploitation des mines d’hydrocarbures liquides ou gazeux par fracturation hydraulique et à abroger les permis exclusifs de recherches comportant des projets ayant recours à cette technique.
[4] Source : https://www.eia.gov/todayinenergy/detail.php?id=38372#:~:text=In%20December%202018%2C%20U.S.%20shale,of%20total%20U.S.%20oil%20production).
[5] Source : https://www.ifpenergiesnouvelles.fr/enjeux-et-prospective/decryptages/energies-fossiles/tout-savoir-gaz-naturel
[6] Voir la visite du Comité de prospective sur deux sites de méthanisation agricole en juillet 2022 : https://www.eclairerlavenir.fr/visite-du-groupe-de-travail-sur-la-biomasse-et-la-neutralite-carbone-de-deux-sites-de-methanisation-agricoles-a-proximite-de-rennes/
[7] À ce titre, voir par exemple le projet GAYA : https://www.usinenouvelle.com/article/engie-va-produire-du-biomethane-par-pyrogazeification-au-havre-avec-cma-cgm.N2021872