Aval compteur : comment les données électriques sont-elles collectées, transmises, valorisées ?

La chaîne de valeur de l’électricité ne s’arrête pas à la fourniture de l’électricité au client et à sa consommation : en aval de la fourniture au client se trouve tout un pan du système électrique organisé autour du consommateur, que l’on peut appeler l’« aval-compteur ». Ce terme englobe des activités diverses, incluant le comptage de l’électricité (réalisé localement par le gestionnaire du réseau[1]), la facturation (réalisée par le fournisseur du client) et le pilotage des consommations (qui peut nécessiter la souscription à une offre de service différente de l’offre de fourniture), voire des services relevant de la domotique.

Le compteur évolué Linky est équipé de plusieurs moyens de communication permettant de transmettre les données de consommation qu’il collecte, à la fois en amont et en aval :

« en aval » aux consommateurs ou aux tiers autorisés, via la sortie locale ;
« en amont » aux gestionnaires de réseaux de distribution (GRD), par le système de télé-relevé, via le Courant Porteur en Ligne (CPL) jusqu’au concentrateur puis via le réseau de téléphonie mobile jusqu’au système d’information d’Enedis. La communication entre le compteur et le GRD est bidirectionnelle : le GRD peut lui aussi transmettre des informations au compteur – par exemple, un basculement d’une plage tarifaire à l’autre lors de la gestion de la pointe mobile, un changement de calendrier du fournisseur[2], des ordres de déconnexion ou de rétablissement de l’alimentation (par exemple, lors d’un changement de locataire) ou encore un réglage de la puissance souscrite, au pas de 1 kVA.

Grâce à cette transmission numérique de données, le consommateur a désormais à sa disposition un large éventail de données de consommation énergétique, dont l’appropriation permet en théorie d’optimiser la consommation future – notamment, en maîtrisant sa demande d’énergie (MDE) et en décalant autant que possible les consommations en dehors des « pics ». Cette optimisation peut passer par un pilotage ‘implicite’, reposant sur l’adaptation du comportement du consommateur, ou par un pilotage ‘explicite’ qui repose sur des offres de services automatisant le décalage des consommations, notamment par le pilotage d’équipements consommateurs d’énergie[3].

Comment la chaîne de valorisation de la donnée en « aval-compteur » fonctionne-t-elle ?

Le GRD recueille obligatoirement les consommations en kWh (appelées index) depuis le début du contrat ou de la mise en service du compteur sur certaines plages horaires sur un pas mensuel[4], qu’il transmet dans tous les cas au fournisseur pour établissement des factures de l’énergie consommée, via un Système de Gestion des Échanges (SGE). Il recueille également les données journalières collectées par le compteur, mais ne les transmet au fournisseur ou au tiers autorisé que si le consommateur y consent (par un mécanisme qu’on appelle ici l’opt-in : le consentement est nécessaire pour activer le mécanisme de transmission des données). Cette transmission permet une facturation plus innovante sur des index journaliers.

Les données horaires (courbes de charge) sont enregistrées par défaut dans le compteur, sauf si le client s’oppose à tout moment à cet enregistrement (mécanisme de l’opt-out). Le client doit cependant toujours donner son autorisation explicite pour que le GRD collecte sa courbe de charge dans son système d’information (mécanisme de l’opt-in) avant de mettre à sa disposition les données horaires[5].

Toutes les données de consommation et/ou de production sont accessibles localement sur l’écran du compteur, mais surtout exportables via la Télé-Information Client (TIC) : celle-ci permet à un autre appareil de se connecter au compteur pour recueillir des informations de consommation en temps réel. D’une part, cette fonctionnalité permet de disposer d’un affichage en temps réel, actualisé chaque seconde, de la consommation, sur écrans déportés, avec d’éventuelles alertes sur dépassement de seuil ou une retranscription de la consommation en euros ou en émission de CO₂. D’autre part, elle permet de proposer des services complémentaires de pilotage : les données de la TIC peuvent être exploitées via des appareils de pilotage d’énergie (ou gestionnaires d’énergie[6]) à des fins de contrôle d’équipements de l’habitation[7], généralement en vue de les adapter aux différentes périodes tarifaires de consommation (plages horaires et pointes mobiles). Cette fonctionnalité, renforcée par l’arrivée du compteur Linky, met donc de plus en plus d’informations à disposition du consommateur voire de tiers fournisseurs de services.
- Certaines données étaient en effet déjà accessibles via la TIC avant le déploiement généralisé du compteur Linky : c’est le cas des index de consommation ; de la période tarifaire en cours ; de l’intensité souscrite ou encore de l’intensité instantanée en consommation – avec un éventuel avertissement en cas de dépassement[8].
- Le compteur Linky offre de nouvelles fonctionnalités : jusqu’à 10 index de consommation sur le calendrier du fournisseur peuvent être consultés, de même que la puissance de coupure, la puissance souscrite, la puissance apparente instantanée, la puissance maximale atteinte sur la journée et la veille, ou encore les 2 derniers points de la courbe de charge. La TIC permet également d’accéder aux données du client-producteur ou en autoconsommation : ce dernier a alors accès à l’index d’énergie active injectée ainsi qu’aux 4 index d’énergie réactive[9], à la puissance apparente instantanée injectée et à la puissance apparente maximale injectée atteinte sur la journée et la veille, ou encore les 2 derniers points de la courbe de charge active injectée.
- Par défaut, en mode consommation, le compteur Linky est installé avec sa TIC en mode « historique » pour permettre aux anciens dispositifs de continuer à fonctionner : pour avoir accès au mode « standard », il faut que le client le demande à son fournisseur d’électricité (mécanisme de l’opt-in) ou au GRD. Le fournisseur informera le GRD (via SGE) pour changer le mode de programmation de la TIC. En mode producteur, la TIC Linky est en mode « standard » par défaut.

Le GRD Enedis met quotidiennement à disposition du consommateur les données qu’il collecte auprès des compteurs Linky sur un espace personnel appelé « Compte Client Enedis »[10]. Sur cet espace, les consommateurs ont non seulement accès à leurs index journaliers et mensuels, mais également, éventuellement, à leurs courbes de charge, à un pas demi-horaire sur les 6 derniers mois. Ici, le consommateur doit donner son accord exprès afin que le GRD puisse collecter ces données (mécanisme de l’opt-in). Le client a également accès à la puissance maximale en consommation lui permettant d’affiner le réglage de sa puissance souscrite.

Lorsque le consommateur souscrit une offre de service auprès d’un tiers, comme un service de visualisation des données de consommation avec incitations aux écogestes pour faciliter les économies d’énergie, ou encore un service automatisé de pilotage de la consommation du chauffage, alors ce tiers fournisseur de service doit avoir accès aux données de consommation électrique : cet accès est conditionné, là encore, au consentement du client, qui doit le donner de manière exprès (mécanisme de l’opt-in). Le plus souvent, le fournisseur de services utilise, via un API, la plateforme « Data Connect » d’Enedis qui centralise les données de consommation des clients. Le client peut alors visualiser les données dont le tiers a besoin : données contractuelles (coordonnées, adresse du point de livraison, contrats) et données de consommation, comme la consommation quotidienne, la consommation par demi-heure, ainsi que la puissance maximale de consommation quotidienne.

Dans quelle mesure les potentialités ouvertes par le compteur évolué Linky sont-elles mises au service du bon fonctionnement du système électrique ?

La souscription d’offres de services de pilotage auprès de tiers permet de tirer profit des données à maille horaire collectées par le compteur Linky : ces services peuvent permettre de piloter l’eau chaude sanitaire, l’injection des énergies renouvelables sur le réseau ou, sur un dispositif de stockage (en cas d’autoconsommation), de moduler le chauffage électrique, la pompe à chaleur ou la climatisation, ou encore de piloter la recharge du véhicule électrique.

L’instauration d’un catalogue d’équipements Linky Ready et les offres de nouveaux services énergétiques permettent de tirer parti des potentialités offertes par le compteur évolué Linky auprès des consommateurs résidentiels. Le marché est dynamique, mais davantage tourné vers le secteur tertiaire : c’est le constat d’une étude menée par Think SmartGrids sur le marché des services énergétiques valorisant les données de consommation des particuliers[11].Toutefois, le développement de la mobilité électrique représente à moyen terme une opportunité de valoriser l’aval-compteur : en tant que nouvel usage électrique appelé à se développer dans les prochaines années, elle pourra être l’occasion pour le consommateur de s’approprier ses données de consommation et par là même de démontrer l’intérêt des services de pilotage de la recharge du véhicule électrique.

Dans l’immédiat, outre la structuration de l’offre, plusieurs freins du côté de la demande peuvent cependant être identifiés :

la perception d’offres complexes et à faible valeur ajoutée, ainsi qu’une méconnaissance de ces mêmes offres ;
la nécessité d’automatiser certains gestes pour éviter des interventions permanentes des utilisateurs qui sont sources de démotivation sur le long terme, tout en garantissant la capacité des utilisateurs à « reprendre la main » dans certaines circonstances ;
une réticence à la transmission des données personnelles de la part des consommateurs.

[1] En application du 7° de l’article L. 322-8 du code de l’énergie, les activités de comptage sont exercées par le gestionnaire de réseau.

[2] Le calendrier fournisseur peut comporter jusqu’à 12 périodes annuelles, 8 semaines type, 10 jours type, 11 tranches horaires, 30 jours spéciaux et 3 jours type « période mobile ».

[3] Source : https://www.thinksmartgrids.fr/actualites/services-energetiques-entretien-ademe

[4] Le recueil des index mensuels est obligatoire, le client ne peut pas s’opposer à la collecte de ce type de données de consommation (article D. 224-26 du code de la consommation).

[5] L’article D. 341-21 du code de l’énergie prévoit qu’à « la demande du consommateur, la courbe de charge est collectée dans le système informatique du gestionnaire de réseau et mise à sa disposition, sans préjudice d’une collecte effectuée par le gestionnaire de réseau dans les conditions fixées à l’article D. 322-16 ».

[6] Les gestionnaires d’énergie, les délesteurs et les afficheurs déportés sont reliés à la TIC du compteur Linky, par défaut, directement, par 2 fils ou par l’intermédiaire d’un Équipement Radio Local (ERL) lorsque le compteur n’est pas situé dans l’habitation. L’ERL convertit les données de la TIC en signaux radio émis selon le protocole Wifi, Bluetooth, Zigbee ou KNX.

[7] Le compteur Linky dispose de 8 contacts (1 contact sec physique et 7 contacts secs virtuels) qui peuvent être dédiés à un usage domestique spécifique et activé ou désactivé en temps réel selon l’information transmise par la TIC au client.

[8] Avant le déploiement du compteur Linky, les compteurs électroniques ne mesuraient que l’intensité du courant et n’affichaient par conséquent que cette valeur. La tension était prise par défaut à la valeur de 220, puis 230 Volts, pour le calcul des index.

[9] L’énergie électrique est acheminée par les réseaux de transport et de distribution sous forme de courant alternatif. Seule une partie de l’énergie qui transite sur le réseau est exploitable directement par l’utilisateur, suivant ses usages : éclairage, chauffage, force motrice, … Elle est appelée énergie active. Le reste de cette énergie est utilisé de manière indirecte via des usages magnétiques ou capacitifs ; elle est appelée énergie réactive.

[10] https://mon-compte-particulier.enedis.fr